• Extrait du Journal de recherche de Pascal Nicolas-Le Strat, professeur en sciences politiques à l'Université Montpellier III. 10 avril 2010

      "Attention, lombrics au travail. Des étudiants ont ouvert, sans autorisation (sans droit, ni titre), un jardin potager sur le campus de l’Université Paul Valéry, dans un espace laissé en friche qui, paradoxalement, se situe à proximité de l’entrée principale, en voisinage d’un des lieux les plus fréquentés de la fac, mais qui, protégé par une haie et situé en hauteur, a su se faire oublier. La disponibilité, le possible, se tiennent proches de nous, pour peu qu’on sache les voir, en détournant son regard ou son chemin. Je le dis d’autant plus sincèrement que, pour ma part, je n’ai pas su voir. Je franchis le portail de l’université de nombreuses fois par semaine, mais déjà préoccupé par mes activités, dans un rapport essentiellement fonctionnel au lieu et aux espaces. Dans mes travaux de recherche, j’insiste sur le fait que les interstices n’existent pas comme tel, en soi, comme s’il suffisait de les saisir. Les interstices émergent sous notre regard, par notre attention, par la portée créative et constituante de notre action. C’est ce que le collectif Mauvaise Graine a su faire : détourner le regard, le contourner ou le retourner, et engager un rapport radicalement différent à notre espace quotidien massifié (plusieurs milliers d’étudiants et de personnels). Le collectif a ouvert un interstice ; il opère une rupture dans l’ordonnancement habituel des activités et des déplacements en introduisant de manière intempestive une activité inhabituelle, discordante, illégitime. Il a fallu que je reçoive ce mail de Julien pour le découvrir : comme vous êtes « professeur dans l’enceinte même du forfait, je me suis dit que nous pourrions nous rencontrer ».

      "Pan sur le bec dirait le Canard. Le sociologue est renvoyé à sa modestie ou à ses chères études. Il ne suffit pas d’avoir écrit « Occupations temporaires » ou « Multiplicité interstitielle » pour être capable de « voir ». Une « occupation temporaire » était en cours dans un de mes espaces de vie, un interstice prenait forme et je passais à côté, au sens propre et physique du terme.

    "L’action du collectif Mauvaise Graine relève de ce que j’ai pris l’habitude de désigner comme une politique de l’expérimentation, à savoir la capacité de faire jouer une nouvelle hypothèse dans une situation donnée, mais une hypothèse effective, agissante, constituante (il s’agit bien de la création d’un potager !). Et s’il devenait possible de jardiner et de cultiver dans un lieu destiné classiquement à l’enseignement et à la recherche. Et si l’on découvrait que ces activités ont beaucoup à partager, beaucoup à se dire. Une telle hypothèse interpelle notre vie institutionnelle et met à l’épreuve nos standards de raisonnement et de fonctionnement. Elle esquisse de nouvelles perspectives, non pas à elle seule, mais à travers les divers processus qu’elle amorce. Lorsque j’ai rejoint Julien et un de ses amis, nous avons longuement discuté, du jardin (par exemple des réseaux de préservation et d’échange de semences paysannes), de leur initiative (le fait d’occuper un terrain sans autorisation)… et au final de la pratique sociologique (la façon dont j’ai travaillé en tant que sociologue avec des collectifs-occupants, dans des squats ou des friches).

      "La création de ce potager, par son caractère intempestif et transgressif, introduit un nouveau « centre de perspective » dans la vie institutionnelle, un nouveau point de vue qui permet de ré-interroger tous les autres. Sur le blog du collectif, je trouve cette information : « À noter aussi que de 12h à 14h des potagériens avec d’autres ont constitué un groupe de chant : ça se passe soit au potager même, soit au préfa’ musique qui est sur le parking, derrière le potager ». C’est en cela qu’une telle initiative est absolument vitale et essentielle. Seules l’irruption (de l’inhabituel) et l’interruption (du cours des choses) sont en mesure de réveiller et de ragaillardir notre pouvoir d’initiative et de création (notre faculté constituante).

      "Cette occupation « potagérienne » représente une critique en acte, jouissive et incisive, des logiques utilitaristes et managériales dans lesquelles l’Université est emportée aujourd’hui. Une telle initiative m’aide à moins désespérer de l’institution dans laquelle j’exerce mon métier. Si l’ouverture d’un potager reste possible…

      "J’aurais tort de terminer ce billet sans souligner que le jardin est cultivé avec un réel art-de-faire et qu’il est agencé avec beaucoup d’élégance ; ce qui rend ce lieu particulièrement agréable à fréquenter. Les potagériens se sont construits leur coin de bonheur. Voilà qui est en soi tout à fait transgressif."

    Source: http://blog.le-commun.fr/?p=300  

    À ceci près que La Mauvaise Graine ne désigne pas un introuvable collectif, mais n'est que le nom d'un emplacement réel (le potager) et une adresse (ce blog), j'ai été très content de la visite de Pascal, et du billet qui s'ensuit. 
    Je renvoie à un texte qu'il a produit au sujet des jardins sur palettes de La Chapelle: http://www.le-commun.fr/index.php?page=un-projet-d-eco-urbanite-iscra-2004
     Juliem 


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  • Des *"puces trocs de plants"* ce *samedi 22 mai de 10h à 12h à Casa Nostra.*
    **
    *videz vos placards et amenez vos derniers plants du printemps, il n'est pas
    trop tard !*
    **
    Et à partir de 12h on vous propose une auberge espagnole, amenez ce que vous
    voulez , nous on ouvrira juste une buvette sur place.

    ce sera annulé en cas de pluie ...

    à samedi !

    _______________________________________________
     Source : I A C A M !
    Infos Anti-autoritaires en Cévennes, Causses, Aubrac, Margeride

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  •   Formellement, ce potager est un espace de non droits institutionnels étatiques. Le droit d'usage y a, de fait, court ; il a, en effet, été approprié de façon violente, sans et contre l'avis de son propriétaire privé qui ne l'utilisait pas. Son statut de squat lui confère un statut précaire car menacé par l'administration de la fac. Sa récupération politique (son institutionnalisation officielle) par cette dernière est à prévoir et à réfléchir préventivement.

      Fondamentalement, il serait intéressant qu'il s'agisse d'un espace critico-créatif :

    * en plus des plantations, qui ne sont, au fond, pour moi, qu'un prétexte, pourraient fleurir des formes épanouissantes de liens sociaux au sein de la séparation ambiante (critique des rapports dominants [hiérarchiques, de domination, genrés...].

    ** la critique de la nourriture en tant que marchandise et de sa production industrielle capitaliste devrait en être une des bases et mener à l'organisation de repas gratuits grâce aux récoltes – si ceux-ci doivent aboutir à quelques dépenses, il existe divers moyens de ne pas réifier la nourriture, de ne pas la transformer en objet marchand et la commercialiser –.

    *** l'utilisation de son corps qui y est employée, mais aussi donc de son esprit, doit rentrer dans le cadre d'un épanouissement individuel conscient, que pourrait suivre, par la suite et de façon coordonné, un épanouissement de l'ensemble des individualités du collectif, donc du collectif lui-même.

    **** les concepts d'autogestion et de réappropriation sont à critiquer et être pensés en vue d'une transformation radicale de la société : qu'est-ce qui est à auto-gérer et à se rapproprier, et dans quel but ? Ou plutôt : il n'y a rien à auto-gérer et à se réapproprier dans cette société aliénée par sa racine capitaliste et tout y est à supprimer dans un but révolutionnaire de dépassement ; c'est la stratégie de la destruction créatrice et de la création destructrice.
      En d'autres termes, la question se pose sur la création d'un lieu autonome individualiste dans et par rapport au capitalisme ou sur la création d'un espace qui ne se contente pas de lui-même et dans lequel se développerait une praxis (théorie cohérente par rapport à une pratique effective) révolutionnaire.
      Ce dernier type d'espace serait un élément parmi tant d'autres dans le cadre de la dynamique d'un mouvement plus large, mouvement qui aurait comme objectif final l'émancipation générale des masses.

    ***** aux premiers abords, ce terrain étant propice, par sa forme, au développement d'une exaltation des traditions ancestrales et de ses savoir-faire, une critique de ceux-ci et du contexte social qui leur a donné naissance serait judicieuse ; il faut notamment se rappeler que les sociétés paysannes étaient loin d'être émancipatrices et donc bien analyser ce qui est puisé dans des formes antérieures d'oppression sociale et se demander vers quelle dérive politique ils peuvent doucement nous faire glisser.

      Afin de lier tout ces points, un projet social de base est donc à envisager pour savoir exactement de quoi on s'éloigne et de quoi on se rapproche. Pour ma part, je trouve nécessaire une révolution sociale et libertaire et prenant en compte l'émancipation des désirs non réifiés et réellement épanouissants (révolution sexuelle) et pense que cette base théorique pourrait être celle de ce potager.

      Cet essai non exhaustif ne demande qu'à être critiqué et discuté.

    F. 

     

    * * * *

      Quoique ce soit moi, Juliem, qui publie ce billet, je n'en suis pas pour autant l'auteur.  

     


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